Les Thraces

par Daniel Milev

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Dernière mise à jour : le 30 novembre 2008


Introduction - l'ombre mortifiante de la Grèce Antique

Nous avons tous été conditionnés pendant de longues années par des phrases toutes prêtes, visant à parfaire notre culture générale, souvent du genre : "La Grèce est le berceau de la civilisation européenne". Pourtant, l'Europe a connu d'autres civilisations, plus anciennes que celle de la Grèce Antique et qui ont marqué d'une manière, aujourd'hui largement ignorée, son histoire et sa culture. Beaucoup connaissent celle de Crète, qui s'est épanouie entre le 3e et le 2e millénaire, avant et après l'arrivée des premiers Ioniens et des Achéens (environs 2000 ans av. J.-C.). Cependant, jusqu'à il y a trente ans, très peu de spécialistes connaissaient véritablement la civilisation thrace, ancienne elle aussi de plusieurs millénaires et précédant l'installation des Grecs dans les Balkans. A la différence de ces derniers, qui ont hérité de la civilisation minoenne, les Thraces étaient les créateurs d'une civilisation originale et héritiers d'une autre civilisation des Balkans, plus ancienne encore - antérieure en effet à l'Egypte et à la Mésopotamie, et qui restent toutes les deux toujours très mal connues du grand public, notamment en Europe occidentale. L'existence de toutes ces civilisations qui ont précédé de quelques millénaires le monde hellénique soulève pertinemment la question du rôle qu'elles ont joué pour l'émergence de la Grèce Antique. Question importante dans la mesure où elle révèlera que les Grecs n'auraient sans doute jamais été ce qu'ils sont devenus sans avoir été au contact des anciennes civilisations des Balkans, du proche Orient et du Nord de l'Afrique, notamment l'Egypte. Une fois de plus, c'est le rôle que joue le milieu qui se révèle prépondérant, même si certains préfèrent ne pas voir les choses ainsi ! Malheureusement, c'est une question qui semble être épineuse, car elle bousculera le lobbysme démesuré en faveur d'un peuple à la fibre patriotique qui ne supporte aucune remise en doute de son passé, et que peu de gens de toute façon sont enclins à soulever volontiers de nos jours ! Les Grecs ont emprunté leur alphabet aux Phéniciens. Aux Egyptiens, ils doivent la quasi totalité de leur divinités, comme l'a démontré Hérodote. Qui sait de nos jours, par exemple, que Dionysos(Zagreus) était un dieu du vin thrace et que son culte à mystères largement pratiqué en terre thrace a donné, en Grèce, naissance à la comédie et à la tragédie, bref au théâtre ? Il en est de même de la connaissance de la géométrie et des maths. Thalès de Millet était allé s'installer en Egypte spécialement pour les y étudier. Pythagore connaissait la totalité des œuvres d'Orphée par cœur. A l'époque, c'était un moyen de faire de la vulgarisation de connaissances, de diverses doctrines, en créant des poèmes que l'on récitait devant un auditoire, car 95% des gens ne savaient ni lire ni écrire et le savoir se transmettait par la tradition orale essentiellement. Le mot grec "didaktikos" désignait justement une poésie exposant une doctrine ou des connaissances scientifiques, etc. Qui se souvient encore qu'Orphée était un poète et musicien thrace, du moins selon les Grecs, mais qui, dans la mythologie thrace, était un prêtre-sorcier doué de pouvoirs surnaturels et qui est à la base du culte de l'orphisme, et des "mystères" ? Orphée a vécu environ 1200 ans avant notre ère. Bien avant Bouddha, Zarathushtra et le Christ, il prônait : "Connais-toi toi-même et tu connaîtra l'Univers et les Dieux !" Formule extrêmement importante, car elle affirme l'existance de toute la connaissance, voire de la science, qui intéresse l'Homme, au fond de lui et qu'il n'a qu'à la chercher en lui-même. De cette manière, il s'affranchit de toute idéologie spéculative et rejette tout pouvoir sur lui. Cela se transformera en un enjeu capital dans la lutte entre ceux qui souhaitent dominer les gens, et le monde, par le pouvoir qu'ils exerceront sur eux, et ceux qui voudront s'affranchir de ce pouvoir. Les premiers justifieront leur pouvoir par une origine divine, les autres diront que le divin est en chacun de nous et que nous n'avons qu'à le découvrir. Plusieurs siècles plus tard le Bouddhisme reprendra à sa façon la rechrche de la connaissance de soi. Les Grecs copieront ce principe, mais le transformeront dans le but de falsifier le message de la manière suivante : "Connais-toi toi-même, laisse le monde aux Dieux !" C'est l'inscription sur le fronton du Temple de Delphes. Cela rend le message complètement contradictoire, car il donne l'impression de reprendre une ancienne formule qui était juste et vraie, se connaître, donc réfléchir à soi, à sa condition, atteindre de cette manière la maîtrise de soi et s'affranchir de l'emprise idéologique, mais en réalité, il interdit la liberté aux gens de décider, car c'est l'affaire des Dieux. De plus, les prêtres eux-mêmes incitaient les gens à satisfaire les Dieux, par des offrandes et des sacrifices. Conscient de cette tentative de soumettre les gens par la religion d'Etat, qui était devenue un moyen de manipulation entre les mains des autorités grecques, Socrate reprit la formule de cette inscription en ne gardant que la première partie et en faisant rétablir ainsi la vérité et la justice. Pour lui, apprendre à se connaître était également un moyen de se sentir heureux, car l'homme qui connais son ignorance et ses propres limites ne perdera pas de temps en cherchant à obtenir des choses qui ne sont pas à sa portée, ce qui le renderait malheureux. Il paiera de sa vie ses vues trop en contradiction avec les normes établies dans la société grecque de l'époque, accusé de faire appel à un autre Dieu - la "raison", et de corrompre la jeunesse, il a été "démocratiquement" condamné à la mort. En acceptant de boire la ciguë, c'est lui qui condamna moralement ses concitoyens "démocrates". Le sort de bien d'autres philosophes fut similaire. Protagoras, qui avait écrit: "Pour ce qui est des dieux, je n'ai aucune possibilité de savoir s'ils existent, ni s'ils n'existent pas", évita de boire la ciguë en s'enfuyant de Grèce. Xénophon fut condamné à l'exil. Platon fut menacé de mort et vendu au marché aux esclaves. Racheté par ses admirateurs, il revint à Athènes, fonda l'Académie et fit de la politique. Ce n'est pas un hasard si le sophisme est apparu dans le monde antique grec, c'était un moyen très commode pour une minorité de toujours imposer ses points de vue à la majorité et nous en faisons les frais même aujourd'hui au quotidien. Les Grecs ont systématiquement emprunté des choses aux autres peuples et les ont consciencieusement modifiées à leur convenance. Dans certains cas on peut parler d'un travail de synthèse, car ils ont su véritablement faire évoluer le savoir qu'ils avaient acquis de par le monde, mais dans bien d'autres cas, il s'agit d'une falsification volontaire et préméditée. La force du "miracle" de la Grèce Antique est due à l'incroyable "flair" qu'avaient les Grecs pour dénicher partout dans le monde antique des choses qui pouvaient servir leur cause et les transformer de sorte à faire croire qu'ils en étaient les créateurs. De nos jours, on appelerait cela du plagiat, dans l'Antiquité c'était normal. Et les Grecs étaient passés maîtres dans cet art. Ainsi, par exemple, la soit-disante "mythologie grecque" n'est rien d'autre qu'une récupération de légendes ayant appartenu à d'autres peuples, plus anciens, et qui ont été censurées et réecrites à leur manière par les anciens Grecs.

Mais comment se fait-il que les Thraces aient pu rester si longtemps à l'ombre de la Grèce Antique sans être connus à la quasi totalité des européens de nos jours ? Les raisons en sont historiques et très complexes. Une d'entre elles est le désir des pays occidentaux de justifier leur politique de colonisation. En se plaçant comme les héritiers directs de la civilisation grecque et romaine, ils croyaient pouvoir tirer argument du fait de "civiliser" les populations indigènes dans les pays conquis, exactement comme le faisait les Romains. Ainsi, par exemple, en France on évitait de parler des Gaulois au 16e -17e siècle ou on minimisait leur apport à la formation du peuple français pour mettre en relief l'héritage romain et se valoriser exclusivement à travers celui qui s'est montré le plus fort sur le champ de bataille. Les Rois de France s'identifiaient à Auguste et à César. On reprochait de cette façon inconsciemment l'échec des Gaulois face aux Romains, ce qui les range du côté des perdants, mais cela a induit un véritable complexe d'infériorité chez les auteurs français qui, durant des siècles, se complaisent à décrire les "barbares" en dehors du monde des Romains comme de vrais sauvages, et les Gaulois n'y échappaient pas. "Les mœurs des Gaulois au temps de César étaient la barbarie même..." (Encyclopédie de D'Alembert et Diderot). C'est une erreur tellement fondamentale, d'autant plus que les Gaulois, à l'image des Thraces, possédaient une culture et surtout une spiritualité tout à fait remarquables, que l'on peut sérieusement se demander est-ce que dans leur état complexé les Français n'ont pas oublié de se comporter en Hommes civilisés et d'être capables d'apprécier à sa juste valeur l'héritage de leurs aïeux ? Tout ce dénigrement avait pour seul but de se valoriser en se plaçant comme les seules légitimes héritiers de l'Empire Romain et comme les porteurs de la civilisation à travers le monde entier. Il faut dire aussi que le désir de gagner de nouveaux territoires aux dépends de l'Empire Ottoman morribond("l'homme malade de l'Europe") et la nécessité d'une justification de l'intervention armée pour la libération de la Grèce(1827), survenue un peu par la force des choses, amenèrent la France à prendre dans la foulée l'Algérie(1830-1857), et la Tunisie(1881-1883) et soulevèrent la question du rôle de la Grèce Antique dans la constitution de la civilisation européenne. Par ailleurs, la France et l'Angleterre manquèrent pour peu de se déclarer la guerre à cause de l'Egypte(1840). La Grèce Antique joua également le rôle d'un "refuge" pour montrer l'ancienneté de la civilisation européenne et par conséquent sa "supériorité" face à l'ombre menaçante projeté par un certain sphynx au nez épaté, mais brisé, le nez d'un pharaon noir nommé Hufu(Chéops), qui pourrait contredire cette prétention et faire éclater au grand jour le mensonge. Ainsi, lorsque la Bulgarie fut libérée du joug Ottoman en 1878, et que les premiers vestiges de la civilisation thrace furent mis à jour, très peu de personnes se rendirent compte que les Thraces n'étaient pas de simples barbares qui vivaient autrefois au nord de la Grèce Antique. Mais, la raison principale de cet état de fait incombe sans aucun conteste aux anciens Grecs eux-mêmes. Depuis l'époque antique déjà, ils avaient commencé consciencieusement et méthodiquement à falsifier l'histoire et à minimiser l'apport culturel des autres peuples, dont les Thraces, pour mettre en relief leur propre creuset culturel dans lequel ils avaient savamment mêlangé ce qu'ils avaient pris aux autres. La Grèce ayant été libérée un siècle plus tôt que la Bulgarie du joug ottoman, elle en a profité pour renforcer son prestige aux dépends de la vérité historique et surtout en enlevant à d'autres peuples ce qu'ils pouvaient revendiquer comme étant leur propre héritage et apport culturel dans la civilisation européenne. Dans cet exercice de plagiat historique, les auteurs anglais, véritables chantres de la Grèce Antique, ont donné leur contribution immense !

Toutefois, cet article ne vise pas à établir une table de comparaison entre la culture grecque et la culture thrace. Il ne fait aujourd'hui aucun doute que les deux ont largement emprunté mutuellement les unes les autres en s'enrichissant, et pas comme certains voudraient bien faire croire que les transferts de savoirs, de techniques, de savoir-faire, se sont toujours effectués en sens unique, que les uns étaient barbares, et les autres civilisés. Nous parlerons ici exclusivement des trouvailles archéologiques effectuées en Bulgarie, mais qui n'était qu'une aire restrainte habitée jadis par le peuple le plus nombreux du monde, après les Indous, si l'on en croit Hérodote - les Thraces.



La première civilisation européenne

Tombe №43 de la nécrpole de Varna
La tombe №43 révèle un homme de taille 1,70m tenant un sceptre composé d'une hache en pierre et dont le manche en bois était plaqué de canules en or, symbole de son prestige et de son pouvoir.
La découverte, à partir de 1972, de la nécropole de Varna, au Nord-Est de la Bulgarie, bord de mer Noire, a constitué un évènement majeur dans l'archéologie mondiale du siècle passé. Imaginez, c'était au 5e millénaire, en Europe occidentale on érigeait des mégalites en pierre monumentaux, preuve du début de la hiérarchisation des sociétés agricoles qui s'épanouissaient et se structuraient ! Un processus similaire se produisait en Europe du Sud-Est au même moment, cependant, ici il n'y avait point de monuments mégalitiques, les tombes révélaient, à l'étonnement général, des objets en or et en cuivre ! La première orfèvrerie de l'humanité, dans l'état actuel de nos connaissances, il y a 7000 ans ! Sur près de 300 tombes fouillées, on a mis à jour 3020 objets en or d'un poids total supérieur à 6 kilogrammes et dont la variété est grande. On peut diviser les objets en 38 types essentiels dont les plus nombreux sont les perles de verroterie, les applications et les anneaux. Tout comme dans les sociétés mégalitiques, ces objets furent la marque d'appartenance à une certaine aristocratie et d'une hiérarchisation de la société néolitique. Avant même l'Egypte et la Mésopotamie, cette civilisation semblait posséder tous les atouts pour s'épanouir comme une grande civilisation historique : échanges économiques avec des régions éloignées à des centaines de kilomètres, des prémices d'une écriture (signes et pictogrammes qui rappellent les écritures hiéroglyphiques crétoises et hittites, mais antérieures de quelques siècles), exploitation minière, sanctuaires, société structurée... Des évènements catastrophiques d'une échelle importante allaient en décider autrement. La civilisation s'effondre brusquement, mais une partie de la population autochtone continue d'occuper le territoire de l'actuelle Bulgarie et de la Roumanie du sud de façon continue des siècles durant, jusqu'à faire émerger, grâce à de nouveaux arrivants, vers le 4e millénaire la population thrace.



Le Déluge de la mer Noire

Il y a plus de 7500 ans, la mer Noire était le plus grand lac d'eau douce au monde. Elle était séparée des eaux de la Méditerrannée par une étroite bande de terre(un isthme) - le Bosphore. Lors de la dernière période de déglaciation, les eaux de la Méditerrannée gonflèrent et s'élevèrent suffisamment pour passer par-dessus l'obstacle naturel et entamer une chute de plus de 120 mètres en effritant l'obstacle progressivement. L'eau s'écoulait à cent kilomètres à l'heure et le bruit de la chute - 200 fois celles du Niagara ! - était audible à des centaines de kilomètres à la ronde. Un évènement d'une telle ampleur ne pouvait pas passer inaperçu pour les habitants du bord du lac autour duquel ils avaient su développer l'agriculture et l'irrigation. Ces agriculteurs étaient venus du Proche Orient quelques millénaires plus tôt. Ici ils ont su élaborer des techniques d'irrigation et des outils agricols essentiels qu'ils allaient propager par la suite dans le reste du monde. En l'espace de un ou deux ans, les eaux recouvrent près de 100 000 km². L'eau salée de la Méditerrannée passe initialement par-dessus l'eau douce et ensuite submerge étant plus lourde en tuant presque toute vie d'eau douce. C'est la création de la mer de la Mort ou la mer Noire. Des légendes racontant des évènement similaires deviendront un jour la base du mythe du Déluge. Le plus ancien texte qui nous est parvenu à ce jour relatant des innondations catastrophiques date du 2e millénaire et a été écrit au Proche Orient. Ce texte est devenu la base du récit byblique du Déluge. Peut-être une partie des agriculteurs ont migré alors de nouveau vers le Porche Orient. Toutefois, il est difficile de mettre en relation l'évènement catasrophique et la propagation en Europe de l'agriculture, car il existe un décalage dans le temps très important entre les deux évènements.

Des montées des eaux plus ou moins importantes ont continué à avoir lieu jusqu'à l'Antiquité. Les habitants de la plus ancienne civilisation d'Europe semblent avoir quitté subitement leurs maisons en prenant le plus nécessaire et parfois en incendiant volontairement leurs demeures. Des villages lacustres engloutis par les eaux dans le lac de Varna témoignent que la fin de cette civilisation a eu lieu probalement suite à une montée plus importante et intempestive des eaux environ 3800 ans av. J.-C. Des villages lacustres similaires ont été découverts dans les Alpes en Suissse, en Allemagne et en France.

Peut-il y avoir une continuité entre la civilisation de Varna et celles de la Mésopotamie ? Beaucoup de chercheurs se sont posés cette question déjà, mais pour l'heure la plupart rejettent une telle possibilité à cause de la grande distance de plusieurs siècles entre la disparition de l'une et les débuts des autres. Pour réussir à défendre une telle thèse, il faudra trouver une civilisation "intermédiaire" ou "transmettrice", qui assure le lien entre les deux régions. A l'heure actuelle, cette époque du passé garde jalousement ses secrets.



Le peuple le plus nombreux d'Europe

Les Thraces étaient un amalgame de diverses populations, qui furent assilmilées progressivement. C'étaient des cavaliers, des guerriers et des artisans remarquables. Ils étaient des vignerons fameux et adoraient le vin pour lequel ils organisaient les fêtes de Dionysos. A la différence des Grecs et plus tard des Romains, les Thraces ne diluaient pas leur vin avec de l'eau et aux yeux de leurs contemporains, ils passaient pour des ivrognes. On considère que les peuples thraces se sont formés au milieu du 4e millénaire lorsque des groupes en provenance des terres à l'est de la Volga se sont installés dans les Balkans. Quelques rares auteurs émettent l'hypothèse qu'ils sont arrivés de l'Asie Centrale. Les Thraces avaient une population très dense et des villes occupant le territoire de manière compacte. Hérodote disait d'eux qu'ils n'étaient surpassés en nombre que par les Indiens et que seul leur dissentions chroniques les empêchaient de devenir la plus puissante des nations. Cela prédisposait probablement leur tendance fâcheuse à vendre leurs services comme mercenaires ainsi que certains de leur concitoyens en esclaves à d'autres peuples dont les Grecs. C'est ce qui favorisa largement la propagation en Grèce des cultes à mystères thraces comme celui de Dionysos, mais également l'un des cultes le plus répendu chez les Thraces - l'orphisme. Certains d'entre eux devenaient des chroniqueurs ou des poètes, des philosophes, mais étaient obligés de se signer sous des pseudonymes grecs. Pourtant, les Thraces ne semblaient pas utiliser eux-mêmes des esclaves à l'instar des Grecs.

Cavalier thrace sur une tablette de pierre
Le cavalier-thrace représenté sur une petite tablette de pierre
Depuis leur formation, les peuples thraces ont bénéficié d'un substrat culturel autocthone dû à l'héritage d'une civilisation depuis longtemps disparue, mais qui précède celles de l'Egypte et de la Mésopotamie. Ils ont su créer une civilisation très originale et extêmement riche. En témoignent non seulement leur villes nombreuses, mais également leurs temples, leur tombes avec tous les objets de la culture matérielle et spirituelle afférents. Ils parlaient une langue proche de celle des Pélasges, population qui précède les Grecs et qui habitait le Sud de la péninsule des Balkans. Leur vision du monde était proche de celle des Scytes et des Perses. Leur religion était dominée par le culte de la Déesse-Mère nommée Bendida(Cybèle chez les Phrygiens), qui est devenue chez les Grecs Artemis. Le culte du cavalier thrace était aussi très répendu, attesté dans des centaines de sanctuaires et sur des millers d'artéfacts. En Grèce il eut pour équivalent plus tard le personnage d'Arès et chez les Romains - Mars. L'orphisme.était sans doute une doctrine très répendue prônant la résurrection sur la base de l'héroïsme et de l'autoperfectionnement.



Les Thraces

Les terres qu'habitaient les Thraces étaient approximativement celles correspondant au Sud de l'actuelle Roumanie, la Moldavie, la Bulgarie, le Nord de la Grèce, la partie européenne de la Turquie et l'Anatolie. Les Thraces ont d'ailleurs amplement contribué à l'épanouissement de la ville de Troie dont ils formaient une partie non négligeable de la population à certaines époques et notamment à l'époque supposée de la Guerre de Troie (environ 1200 av. J.-C.). Il ne fait aucun doute qu'il y avait des Thraces parmi les dirigeants de la ville et les personnes importantes à l'époque de Troie VII. Homère les cite parmi ses alliés tels le roi Rhésus dont on dira quelques mots par la suite. Le fait même que des Ethiopiens sont cités aussi parmi ces alliés montre de manière indirecte que c'était une guerre opposant l'Ancien monde au Nouveau - représenté par les Grecs. Selon une légende racontée par Hérodote dans son livre sur l'Egypte(voir Annexe), les Phrygiens(alliés de Troie aussi) furent considérés par les Egyptiens comme le plus ancien peuple au monde. Ils ont laissé des tombes sous des tumulus dans le Nord-Est de la Grèce actuelle avant de mirgrer en Asie Mineure ou on en trouve des tombes similaires et qui sont attestées leur appartenir. Cependant, les Grecs les ont prétentieusement déclarées macédoniens et ensuite, suivant la logique de leur doctrine nationale, les ont annocées pour grecques ! De nos jours, on connaît les noms d'environ quatre-vingts peuples thraces, qui étaient en réalité plus nombreux, dont les Apsinthes, les Astes, les Besses, les Bithyniens, les Briges(Phrygiens) : thraco-illyriens?, les Daces, les Derses, les Edoniens, les Gètes, les Kikones(Cicones), les Odrysses, les Thynes, etc.



Les villes thraces

Les Thraces nous ont légué une toponymie très riche et variée. Les noms de certaines de leur villes nous sont parvenus également quasiment inchangés. Ce qui marque l'esprit au premier abord, c'est qu'une partie non négligeable des noms de villes se terminent toujours par les mêmes suffixes: -bria, -para, -disa, et -dava ou bien -deva. Voici quelques exemples : Bolbabria, Mascibria, Alebria, Poltimbria, Sombria, pour les villes se terminant en -bria. Nous avons aussi : Dausdava, Kapidava, Skaïdava, Breguedava, Sagadava et Pulpudeva. Cette dernière est devenue ensuite Philipopolis, et de nos jours - Plovdiv, la deuxième ville de Bulgarie. Nous avons encore : Bessapara, Bussipara, Spinopara, Guelupara, Brentopara, Basopara, pour celles dont le nom se termine en -para. Et il nous restent : Turodisa, Burtudisa, Ostudisa, Rudisa et Dradisa. Il paraît que le suffixe -bria avait le même sens que "bourg" pour les Allemands - petite ville, alors que dans la langue française cela désigne plutôt un gros village. Il est intéressant de noter que le mot thrace "disa" trouve son équivalent en Perse et à Bactriane où cela signifiait une forteresse. Nous avons déjà mentionné la probabilité qu'une partie des populations ayant pris part à la formation des Thraces soient venus d'Asie Centrale. Parmi les noms de villes qui ne se terminent par aucun de ces suffixes, nous avons Serdica (l'actuelle capitale de la Bulgarie - Sofia), Beroe (aujourd'hui Stara Zagora), Durostorum (de nos jours Silistra), Iamforina et bien d'autres.



Perpérikon



Nous ne passerons pas en revue toutes les villes thraces, mais nous attirerons votre attention sur celles qui suscitent le plus d'intérêt en ce moment aussi bien du côté des archéologues que des touristes, car on peut déjà visiter certaines d'entre elles. Parmi toutes les villes thraces il y en a une qui se détache bien des autres, non seulement parce qu'elle est chargée d'histoire, mais aussi à cause du mystère qui l'a toujours entourée. C'était une ville sanctuaire taillée dans la roche, qui révèle l'activité humaine depuis le 4e millénaire, mais dont la période d'occupation la plus intense accompagnée par des aménagements importants du site débute aux environs de 1500 ans avant J.-C. Ce lieu était sacré non seulement pour tous les Thraces, mais aussi
Tombes royales à Perpérikon
Les tombes des rois
pour les Romains plus tard, et pour les chrétiens ensuite. Alexandre le Grand et Octavius, le père d'Auguste, se rendirent là-bas pour entendre le présage des prêtres sur l'avenir. La présence de la ville est attestée dans certaines descriptions géographiques de l'Antiquité, notamment celle de Claude Ptolémée(2e s. après J.-C.). Ce fut la capitale du roi thrace Rhésus. Voyons ce que dit Homère de lui par la voix de Dolôn (Iliade, Chant 10): "Si vous désirez entrer dans le camp des Troiens, les Thrèkiens récemment arrivés sont à l'écart, aux extrémités du camp, et leur roi, Rhèsos Eionéide, est avec eux. J'ai vu ses grands et magnifiques chevaux. Ils sont plus blancs que la neige, et semblables aux vents quand ils courent. Et j'ai vu son char orné d'or et d'argent, et ses grandes armes d'or, admirables aux yeux, et qui conviennent moins à des hommes mortels qu'aux dieux qui vivent toujours."

Le nom de cette ville est inscrit sur certaines anciennes cartes, telle une carte de Napoléon faite par un de ses cartographes où on lit : "Pergamon". Pergamon fut également le nom d'une ville grecque en Asie Mineure apparue bien plus tard et qui semble donner le nom au parchemin(pergaminus) à cause du support à écrire qu'on y fabriquait. La ville thrace, qui abrite un palais royal de trois étages datant du 5e siècle avant J.-C., se situe non loin de la forteresse médiévale de Perpérikon, dans le Sud de la
Bulgarie, non loin de Kârdjali. C'est pourquoi on l'a longtemps surnommée ainsi et ce de nos jours encore. Outre le palais, le site est muni d'une acropole, de faubourgs au Nord et au Sud, de temples munis d'autels de sacrifices et d'une enceinte fortifiée imposante qui date de l'époque romaine (1e - 5e siècle). Le mot thrace "pergamus" signifiait justement ville fortifiée. Mais ici tout a été taillé dans la roche : les autels, les tombeaux, les systèmes de canalisation qui fonctionnent même de
Entrée de la mine d'or à Perpérikon
La mine d'or
nos jours. Certains des autels ont été utilisés pour des sacrifices d'animaux, voire plus rarement humains. L'Acropole est construite de gros blocs de pierre dont la jointure était assurée uniquement par des crochets métalliques. L'épaisseur de ses murs fait 2,8 mètres. Le palais, dont on a découvert déjà 30 pièces, devrait selon certaines estimations ocupper une surface totale de 1 hectar et comporter 60 pièces. Entre le palais et l'Acropole il y a un passage de 100 mètres creusé dans la roche, traversé par des canaux pour conduire l'eau de pluie qui fonctionnent toujours. Il semblerait que tout le site a été initialement construit comme un lieu de culte, probablement celui de Dionysos. Plus tard, le lieu s'est développé et transformé en cité royale. La présence d'une mine d'or et d'une rivière orifère à proximité expliquent la richesse du roi Rhésus et de sa capitale.



Seuthopolis

Découverte et étudiée de 1948 à 1954 lors de fouilles de sauvetage pendant la construction du barrage "Koprinka", dans la région de Kazanlâk, où se situe la fameuse "Valée des Roses" et l'ainsi nommée "Valée des Rois thraces", la ville date de la fin du 4e siècle av. J.-C. et a été fondée par le roi Seuthès III. Ce fut la capitale de l'Etat odrysse. La ville fut fortifiée par une muraille munie d'un portail au nord-ouest et d'un deuxième au sud-ouest. Les rues se coupent suivant des angles droits. La résidence du roi se situait au sud-est. On y a découvert beaucoup de céramiques, de pièces de monnaie avec l'effigie de Seuthès III, d'ornements en argent et en bronze.

Stèle de contrat entre Bérénika et Spartok
Stèle de contrat
Un véritable évènement constitue la découverte d'une inscription en langue grecque sur une stèle en pierre. Les Thraces utilisaient souvent le grec en écriture, mais ils possédaient leur propre écriture qui reste aujourd'hui très mal connue. Le texte est un contrat entre Bérénika - l'épouse de Seuthès III, et ses fils, d'un côté, et Spartok, d'un autre côté, qui est un roi aussi, mais à Kabilé. Selon le contrat, les descendants de Seuthès III s'engagent à remettre une personne - un certain Ephémène (Epémen), qui avait été donnée à Spartok autrefois, mais qui pour une raison méconnue s'est retrouvée dans le temple des Dieux samothraces à Seutopolis. Spartok de son côté engage sa propre responsabilité pour cette personne. Il n'est pas clair qui elle était - un prétendant au trône, un chef de guerre ou autre. On ne parvient pas non plus à savoir si Seuthès III était simplement abscent, gravement malade ou décédé au moment de l'écriture du contrat. A la fin du texte, il est fait mention qu'il est écrit en 4 exemplaires dont deux sont déposés à Kabilé dans le temple d'Artemis Phosphoros et sur l'agora près de l'autel d'Apollon et les deux autres à Seutopolis dans le temple des Dieux samothraces et près de l'autel de Dionysos, mais qui n'ont pas été découverts par les archéologues jusqu'à présent.

Le texte éclaire également l'état de la religion thrace à l'époque hellénistique (de la conquête d'Alexandre à la conquête romaine) en montrant la forte influence grecque qu'elle subit lors de cette période par la présence de cultes grecs à Kabilé notamment. Mais si le culte d'Artemis, par exemple, est grec, nous ne pouvons pas manquer de mentionnner son origine thrace - la déesse-mère Bendida. Voici comment quelque chose qui a été emprunté par les Grecs aux Thraces, revient dans leur propre pays transformé et présenté comme grec.

De nos jours on ne peut pas visiter Seuthopolis du fait que ses vestiges gisent par 20 mètres au fond du lac formé par le barrage "Koprinka". Un projet très audacieux de construction d'un anneau en béton autour de la ville pour la faire resurgir à l'air libre existe, cependant les moyens nécessaires à sa réalisation manquent encore. Récemment, au 1er juin 2008, le Ministère de la Culture bulgare a enfin déclaré sa faveur à la réalisation de ce projet très original qui permettera non seulement à la ville thrace la mieux conservée de resurgir des eaux, mais de l'inscrire également au patrimoine mondial de l'UNESCO. Une campagne pour recueillir les fonds à été inaugurée.

Projet de construction d'un anneau en béton autour de Seuthopolis - vue de jour Projet de construction d'un anneau en béton autour de Seuthopolis - vue de niut
Seuthopolis de jour - agrandir Seuthopolis de nuit - agrandir


Kabilé


Le nom de la ville proviendrait de Cybèle(Kibela). Elle est située sur un plateau à l'endroit où la rivière Tundja vire au sud, dans le sud-est de la Bulgariе, tout près de la ville nommée Yambol. Le plateau est surplombé d'un acropole-sanctuaire rocheux sur lequel on a mis à jour un relief de Cybèle. Le sanctuaire a fonctionné entre le 2e et le 1er millénaire.
Vestiges de Kabylé
Kabylé - cliquer pour agrandir
La ville est apparue et s'est développée autour du sanctuaire vers la fin du second millénaire. Au 5e-4e siècle av. J.-C., la ville a entretenu des relations commerciales importantes avec les villes grecques de l'Egée et les colonies de la côte de la mer Noire. C'était une ville royale et une capitale. Le sanctuaire était utilisé également comme un site astronomique et possède un repère Nord-Sud et Est-Ouest dont la précision est au demi-degré d'arc. Les méthodes de l'archéoastronomie ont permis d'établir que les équinoxes y furent observés entre 2000 et 1500 av. J.-C. Le relief de Cybèle qui avait une exposition légèrement Nord-Est était éclairé par les rayons matinaux tous les jours entre l'équinoxe du printemps et l'équinoxe d'automne. Les points de culmination du Soleil  - le jour, et de certaines étoiles - la nuit, permettait de suivre un jour entier au rytme d'un quart non équitablement partagé suivant les saisons. Le site semble avoir été utilisé jusqu'au 3e siècle av. J.-C. Le roi thrace Spartok y taillait ses propres pièces de monnaie à son effigie dont nombreuses ont été découvertes par les archéologues sur le site.



Les tombeaux et les sanctuaires thraces

Curieusement, les tombeaux nous renseignent beaucoup sur la vie, la culture, les croyances des gens ayant vécu en pays thrace, de par leur architecture, de par les objets de la cuture matérielle et spirituelle qui y étaient déposés ainsi que de par la décoration des parois. En Bulgarie, on a mis a jour une quarantaines de tombeaux thraces et leur nombre ne cesse de croître. Quinze d'entre eux possèdent une chambre funéraire ronde, les autres étant carrées, mais presque toutes sont munies d'une fausse voûte. Les rondes sont couvertes par un dôme en fausse ruche. Certains ont un corridor en plus de la chambre funéraire et parfois d'autres pièces.

La forme de la voûte est sans doute liée à la religion et aux croyances thraces. Elle rapelle beaucoup les toits coniques des maisons de l'époque. Les morts étaient déposés entourés de tous les objets de la vie quotidienne dont ils pouvaient avoir besoin, car les Thraces croyaient en l'immortalité de l'âme. En ce sens leur tombeau était leur dernière demeure et rappelle un peu une maison. Il arrivait parfois que certains des annimaux domestiques tels les chevaux, parfois même la femme la plus aimée, soient mis à mort pour les accompagner dans l'au-delà. Les Thraces étaient polygames et les jeunes filles jouissaient d'une grande liberté sexuelle, mais dès qu'elles devenaient épouses d'un homme, elles étaient tenues d'une main ferme. Il est possible que le nombre d'hommes chez les Thraces ait été inférieur à celui des femmes, car le métier de la guerre était considéré comme une tâche noble chez eux. La polygamie s'est imposée dans la culture et même dans la religion de divers peuples, comme chez les Arabes qui, suite aux nombreuses guerres, ont manqué d'hommes. Dans nos sociétés européennes où le nombre de femmes est égal à celui des hommes, nous admettons pour normal d'être monogames. Au Tibet, avant l'invasion chinoise de 1949, une femme partageait plusieurs hommes, car ils étaient en surnombre.

La mort chez les Thraces était considérée comme une libération des souffrances terrestres pour le défunt et donnait lieu à de véritables banquets où l'on exprimait sa joie. La naissance, au contraire, était pleurée.

Le Tombeau de Kazanlâk


Fresque du tombeau de Kazanlâk - couple d'époux
Tombeau de Kazanlâk
Découvert en 1944 par des soldats effectuants des travaux dans la partie nord-est de la ville de Kazanlâk, au centre du pays, il date du 4e siècle av. J.-C. Il fait partie d'une grande nécropole qui se situe non loin de Seuthopolis et était construit pour un souverain odrysse, un des rois thraces. Son état de conservation extraordinaire avec ses peintures murales très vivantes, qui renvoient la douceur et la souplesse des mouvements des personnages représentés en créant ainsi une atmosphère solennelle et intemporelle, et d'une valeur, aussi bien archéologique que culturelle, inestimable lui valent son inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1979. Les peintures sont exécutées suivant la techique a fresco. Celle-ci consiste à appliquer la peinture sur une base de chaux frais qui au contact du gaz carbonique de l'air se transforme en calcite et libère de l'eau. En s'évaporant, l'eau laisse le calcite cristalliser et durcir en fixant les pigments qui s'intègrent à la surface du mur et gagnent en durabilité. Le peintre a utilisé le noir, le rouge, le jaune et le blanc.

L'entrée de la tombe est situé au sud-est. La chambre funéraire lui est reliée par un couloir(dromos) dont le toit se termine en prisme triangulaire. La longueur du couloir est de 1,95 mètres, la largeur est 1,12 m, et au plus haut il atteint 2,24 m. L'anti-chambre est constituée par deux murs de pierres taillées, jointes par de l'argile, des deux côtés de l'entrée du couloir. Sa longueur est de 2,60 m et la largeur est de 1,84 m. La chambre funéraire est en forme de cloche. Son diamètre à la base est de 2,65 m, sa hauteur est 3,25 m et le sommet coupé a un diamètre de 0,47 m. Les fresques recouvrent un total d'environs 40 m2 dans le couloir et dans la chambre funéraire. En plus de la technique a fresco, le peintre, dont ce fut sans aucun doute l'œuvre de sa vie, a utilisé le procédé à l'encaustique. Celui-ci consiste à
Fresques dans le couloir du tombeau de Kazanlâk
Couloir - agrandir
faire fondre de la cire et à la mélanger avec des pigments ce qui donne un certain air satiné et protège la peinture de l'humidité de manière remarquable. Sur plus de 2000 ans, il n'y a presque aucune craquelure. Il ne fait aucun doute que si les Thraces étaient des apiculteurs, et savaient prélever les rayons de miel des ruches pour en extraire le miel, ils faisaient également un excellent usage de la cire.

Les peintures dans le couloir représentent deux armées qui s'affrontent. Sur le côté Est, deux héros au milieu des armées se font face. Leurs habits et leurs armements sont traditionnels thraces - le casque phrygien, le bouclier ovale avec des lances et la rhomphaia - une arme de taille et d'estoc dont la lame, à un seul tranchant, était droite ou légèrement recourbée, d'une logueur allant de 60 à 80 cm, et dont la soie atteignait environ 50 cm, ce qui la prédisposait à être tenue souvent à deux mains. La rhomphaia, dans sa version dace, fut la seule arme nouvelle rencontrée plus tard par les légions romaines qui provoqua une modification(amélioration), attestée par les textes, visant à mieux protéger les bras des légionnaires. Le nom provient de la racine indo-européenne "rump-"dans le latin "rumpo, ere", c'est-à-dire "rompre". Sur le côté Ouest du couloir, l'un des deux héros est agenouillé devant l'autre. La couronne en feuilles de lauriers en or sur la tête du défunt, repésenté dans la chambre funéraire, ne laisse donc aucun doute sur son héroïsation, mais également sur son rang de roi. Ce qui marque c'est que le peintre a travaillé avec une grande liberté d'esprit en n'obéissant à aucun sujet classique de la peinture grecque, mais représente plutôt des évènements historiques du monde et de la vie des Thraces. La scène de la chambre funéraire est un festin à la mémoire du défunt. Autour des deux époux s'affairent des servants, des palefreniers menant de très beaux chevaux, des musiciens, presque tous vêtus de chitons colorés à l'avant, ceints à la taille et sous la poitrine, et retombants par dessus les ceintures.

Fresque du tombeau de Kazanlâk - époux et servantes Fresque du tombeau de Kazanlâk - palefrenier avec des chevaux Fresque du tombeau de Kazanlâk - musiciens
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En plus de la maîtrise et des qualités artistiques indiscutables du peintre, et de la très grande originalité des sujets qu'il a représentés, nous pouvons constater que l'art à l'époque hellénistique ne fut point l'exclusivité des artistes et artisans grecs. En particulier, pour ce qui concerne les Thraces, il faut admettre qu'ils ont largement contribué au développement et à la propagation de ce que l'on nomme couramment "l'art hellénistique", cependant il serait plus juste encore d'apprendre à distinguer ce qui appartient à la culture propre de ce peuple et à ne pas systématiquement déclarer helléniste, et par extension grec, tout ce qui a été créé à cette époque, comme cela se fait couramment actuellement à l'égard des œuvres thraces, non sans arrière-pensées. Le Tombeau de Kazanlâk possède le double avantage d'être à la fois un chef-d'œuvre de l'art à l'époque hellénistique et d'affirmer clairement l'existence d'un style inimitable, d'une vision du monde artistique et humaine bien particuliers et propres uniquement aux Thraces, et les peuples qui leur sont apparentés. En ce sens, on peut et l'on doit parler d'un art thrace comme une réalité coexistante et interagissante avec le monde hellénistique et pas comme un simple appendice à l'art grec.




Annexe


«Les Égyptiens se croyaient, avant le règne de Psammitichus, le plus ancien peuple de la terre. Ce prince ayant voulu savoir, à son avènement à la couronne, quelle nation avait le plus de droit à ce titre, ils ont pensé, depuis ce temps-là, que les Phrygiens étaient plus anciens qu'eux, mais qu'ils l'étaient plus que toutes les autres nations. Les recherches de ce prince ayant été jusqu'alors infructueuses, voici les moyens qu'il imagina : il prit deux enfants de basse extraction nouveau-nés !, les remit à un berger pour les élever parmi ses troupeaux, lui ordonna d'empêcher qui que ce fût de prononcer un seul mot en leur présence, de les tenir enfermés dans une cabane dont l'entrée fût interdite à tout le monde, de leur amener, à des temps fixes, des chèvres pour les nourrir, et, lorsqu'ils auraient pris leur repas, de vaquer à ses autres occupations. En donnant ces ordres, ce prince voulait savoir quel serait le premier mot que prononceraient ces enfants quand ils auraient cessé de rendre des sons inarticulés. Ce moyen lui réussit. Deux ans après que le berger eut commencé à en prendre soin, comme il ouvrait la porte et qu'il entrait dans la cabane, ces deux enfants, se traînant vers lui, se mirent à crier : "Bécos !", en lui tendant les mains. La première fois que le berger les entendit prononcer cette parole, il resta tranquille ; mais ayant remarqué que, lorsqu'il entrait pour en prendre soin, ils répétaient souvent le même mot, il en avertit le roi, qui lui ordonna de les lui amener. Psammitichus les ayant entendu parler lui-même, et s'étant informé chez quels peuples on se servait du mot bécos, et ce qu'il signifiait, il apprit que les Phrygiens appelaient ainsi le pain. Les Égyptiens, ayant pesé ces choses, cédèrent aux Phrygiens l'antériorité, et les reconnurent pour plus anciens qu'eux.»

Euterpe, Hérodote, livre second