La
peur
de faire une bêtise
La
majorité des gens recherchent le bien-être et la
sûreté. Dans notre "cocon" personnel nous nous sentons
à l'abri de presque tous les dangers. Et ce "presque" prend
souvent toute son importance dans notre quotidien et à notre
insu. Nous avons de multiples peurs. Et même lorsqu'on se sent
rassuré(e), elles sont belle et bien là et influencent
notre attitude sans qu'on s'en rende compte. Nous ne sommes
pas des animaux, mais nous en avons conservé la majorité
des comportements et développé de nouveaux. Accepter son
côté animal signifie stagner ("végéter") ou
rétrograder. Se décider à lutter contre n'est pas
forcément raisonnable, car il est bien connu que si on chasse le
naturel, il revient au galop. Il faut alors bien se connaître
soi-même et faire évoluer son côté
rudimentaire vers une dimension plus élevée, celle sur
laquelle se base toute notre
civilisation. Se remettre en cause devient alors un acte de courage, un
véritable défi et a été à l'origine,
de tous temps, de la splendeur de l'humanité et de sa
fièreté.
A la différence de
l'angoisse dont l'origine reste mystérieuse, car inconsciente,
la peur a toujours une origine connue et est définie par rapport
à quelque chose: peur du vide, du noir, des araignées,
etc. Cependant, elle peut agir sur notre comportement sans que l'on
s'en rende compte, de manière sournoise. Dans la culture et
l'éducation de chacun de nous a été
profondément inculqué le principe qu'on doit affronter
ses peurs, et que c'est le meilleur moyen de les dépasser.
Cependant, personne ne nous a expliqué en quoi consiste ce
principe et comment éviter l'échec, car ce dernier est
une issue probable. La peur a pour effet de nous inhiber et de nous
bloquer parfois aussi bien physiquement que psychologiquement. Comment
peut-on l'affronter dans de telles conditions alors qu'on part avec un
handicap, et de taille!? Notre société de
compétition, où la performance individuelle est un
facteur de réussite, a poussé notre esprit (psychisme?)
à développer des moyens pour nous désinhiber
partiellement ou totalement de nos craintes*. En l'état actuel
de nos connaissances, nous ne pouvons pas affirmer que tous ces
artifices de notre esprit sont une évolution par rapport au
monde animal, mais nous pouvons l'admettre. Un des mécanismes
qui permettent de dévier la peur et de débloquer le corps
et l'esprit de son emprise est le fantasme. C'est le cas lorsqu'il
s'agit d'un fantasme lié à un "interdit". Il n'a qu'un
effet temporaire et n'élimine jamais la peur de notre esprit, au
contraire, elle sert à le nourrir. Son utilité, si on
apprend à s'en servir, c'est de dépanner au cas où
on n'arrive plus du tout à se maîtriser. Il appaise et
rend le bien-être à un moment donné qui pourrait
être critique. Mais il n'est conseillé de s'en servir
qu'en tout dernier recours, lorsqu'il y a une situation d'urgence et
qu'on n'a pas le temps pour faire autrement, car le fait
d'atténuer la peur peut induire en erreur, comme on le verra
plus loin. Il existe plusieurs autres moyens, mais le plus efficace est
sans doute celui qui passe par l'intellectualisation et auquel vous
pourriez ajouter une petite dose d'humour, car la peur craint le rire!
Un exemple c'est la peur de
rater sa vie qui pourrait survenir à un moment que l'on estime
important pour sa carrière, ces études ou sa vie
privée. Dites-vous bien que quoi que vous fassiez, quoi qu'il
vous arrive, cela fait partie de votre vie, vous la vivez au jour le
jour et tant que vous êtes vivant(e), vous ne risquez pas de la
rater. Que l'on fasse une énorme connerie, que l'on rate ses
études ou sa carrière, ce n'est qu'un épisode qui
fera partie de votre vécu, de votre parcours. Les voies sont
innombrables et vous en trouverez forcément une qui vous
convient. La vie est faite de recommencements et parfois on peut
même avoir plusieurs chances pour faire mieux. Il y aura toujours
quelque chose à faire après et cela devient même
risible de penser que votre vie est loupée. Lorsque vous prenez
conscience de ceci, la peur liée à un enjeu particulier
qui semble être crucial s'estompe et vous vous sentez
libéré(e). Tout cela a l'air si simple que l'on se
demande même pourquoi faut-il le dire, tellement c'est
"évident"! Eh bien, non! En réalité, ce qui se
produit dans la plupart des cas c'est que notre comportement
conditionné depuis l'enfance prend souvent le dessus.
Explication.
La peur de faire une
bêtise, par exemple, crée chez nous non seulement des
blocages, mais aussi une tension permanente, un stress très
subversif pour notre psychisme et notre organisme. Un des moyens de se
libérer de cette tension est celui qu'un certain nombre d'entre
nous ont développé dans leur enfance, notamment, faire la
connerie liée à cette peur. On a peur non seulement parce
qu'on sait que l'on risque de commettre une bêtise, mais aussi
parce qu'on se sent capable de la faire malgré sa
volonté. C'est dû en grande partie à un manque de
confiance en soi. Inconsciemment, on se met tôt ou tard en
situation d'affronter sa peur ou on y est amené par les
circonstances et les personnes de circonstances. Le manque de confiance
en soi vient du fait qu'on a rejoué le scénario
"catastrophe" dans sa tête à l'avance et qu'on n'a pas su
trouver les arguments sur lesquels s'appuyer ou la base culturelle (due
à l'éducation) pour faire la parade la plus efficace
contre ce que l'on estime être une grande bêtise. Face
à cette situation, et une fois après en avoir pris
conscience, un certain nombre d'entre nous vivent sous la tension
permanente de commettre une grave erreur. Tout le monde n'a pas le
réflexe d'en parler à ses amis. Ils sont notre
appui, notre garde-fou, ils peuvent apporter les éléments
de réflexion dont on a besoin pour reprendre confiance en nous
et nous débarrasser de nos peurs. Avec eux, nous sommes plus
forts, c'est pourquoi on doit toujours chercher à bien
s'entourer et être prêt(e) à faire des
concessions (même si c'est à l'encontre de notre
intérêt personnel) pour les garder, sans que cela aille
trop loin, bien sûr. Par contre, en s'isolant des autres, on
devient fragile.
Ainsi, certains d'entre nous se jèteront face au "danger" avec
peut-être une petite dose d'amertume du fait de leur milieu
amical et/ou familial défaillant ou parce qu'ils n'auront pas
obtenu la
compréhension tant espérée. C'est leur
manière de crier leur détresse en s'affligeant
eux-mêmes pour faire réagir les gens de l'entourage, mais
aussi les prendre à contre-pied et peut-être pour se
redonner confiance en soi. Certains d'autres encore se
croient assez malins pour jouer avec le feu et maîtriser la
situation jusqu'à ce qu'ils trouvent une porte de sortie pour
s'extraire au dernier moment en improvisant comme des artistes. On les
appellera des "chats", car à leur image ils s'amusent à
attraper la souris et la relâcher en étant
persuadés de garder toujour le contrôle de la situation
d'où ils tirent d'ailleurs un malin plaisir. Jusqu'à ce
qu'ils se rendent compte que la souris est un ogre magicien mangeur de
"chats" et qui se transforme subitement devant eux alors qu'ils ne
peuvent plus reculer. C'est l'histoire d'un conte d'enfants
célèbre, mais un peu à l'envers**. Les contes et
les légendes transmettent la sagesse des anciens, car elles
racontent notre passé et sont notre mémoire collective.
Dans un cas ou dans un autre, on
en arrive à faire une chose qu'on ne voulait pas en ayant peur
de la commettre. Il s'agit donc d'un échec dans notre
épreuve où l'on affronte ses peurs. Comment les combattre
plus efficacement pour se libérer définitivement de leur
emprise sur nous sans commettre une bêtise, voire
l'irréparable? Pour cela, il faut comprendre les raisons de
l'échec. En général, elles sont "très
simples": on n'y était pas préparé ni
psychologiquement (on y est pas allé avec le bon état
d'esprit) ni intellectuellement (sans les arguments "béton"
indispensables). Psychologiquement, il s'agit d'avoir confiance en soi
et une détermination sans faille. L'humour ou le fantasme
peuvent aussi être de secours. Le but est de garder bien à
l'esprit la connerie que l'on doit éviter et chercher toutes les
autres solutions auquelles on doit même avoir pensé
à l'avance. Le vide qui pourrait se créer dans notre
tête en ne laissant comme seule solution que la connerie dont on
pense fortement est la marque inimitable de l'effet que produit la peur
sur nous, même si on ne la ressent pas. C'est à ce moment
critique qu'il faut se montrer suffisamment déterminé(e)
et à la fois "souple" pour ne pas succomber à la
tentation de la facilité de la bêtise. Que vous vous
serviez de l'humour, du fantasme ou d'un argument philosophique pour
vous débloquer de votre peur, ne perdez jamais de vue qu'il faut
la dépasser pour qu'elle ne nous pousse pas à commettre
l'erreur alors qu'elle nous fait croire que la bêtise ne serait
pas grave à
faire!
Il faut toujours parler d'un ton
calme et mesuré. Elever la voix signifie qu'on se sent
agacé et on devient alors agressif. Or, l'agressivité est
directement liée à la peur. On est agressif parce qu'on a
peur, c'est un comportement animal qu'il faut apprendre à
maîtriser et canaliser. Surveiller le bon ton d'une discussion
peut aider à surmonter ses craintes et à les apaiser au
lieu de les amplifier. Dans nombre de cas, la peur transporte
l'idée d'un comportement qui nous serait nocif. C'est donc
à la base un garde-fou. Mais ne vous trompez pas, ce n'est pas
la peur elle-même qui est le véritable fruit de notre
évolution, si ce n'est le fait de lui en avoir ajouté
d'autres. C'est un sentiment basique et rudimentaire, mais
étonnant, car il peut renfermer en soi la complexité. Il
faudrait se demander en effet, pourquoi notre esprit a-t-il "besoin"
d'avoir recours à lui? Cela pourrait être une simple
question de "pragmatisme". Il est en réalité beaucoup
plus facile de transporter un sentiment "portable" et
élémentaire (on pourrait dire même universel) que
toute une "liste" d'argumentation qui pourrait être issue d'une
réflexion approfondie et dont le contenu reste abstrait et par
conséquent difficile, "coûteux", à manipuler. Les
arguments qui nous disent que quelque chose n'est pas "bon" à
faire seraient alors "comprimés" en ce sentiment qui les
enveloppe comme une graine et qui en transporte seulement l'idée
générale. Ses effets secondaires pour nous sont pourtant
parfois néfastes. Il nous faut donc absolument retrouver ces
arguments et évacuer ainsi la peur, soit en les dégageant
de leur enveloppe, soit en les reconstituant à nouveau à
partir de raisonnements logiques. Ce sont ces arguments qu'il faut
toujours avoir à l'esprit pour ne pas commettre l'erreur. Car,
si on évacue la crainte sans avoir retrouvé les
arguments, on risque de croire que la connerie n'en est pas vraiment
une et qu'on s'était trompé de l'avoir pensé.
Voilà où l'intellectualisation joue son rôle pour
nous aider à dépasser ce sentiment rudimentaire et
bestial qui renfermerait en lui le fruit de notre intellect tout en
nous évitant une méprise.
En conclusion, on peut dire que
lorsque nous aurons appris à contôler et gérer nos
frustrations et nos craintes, nous aurons acquis la véritable
maturité. Car, si la maturité sexuelle arrive
relativement tôt (13-14 ans, parfois avant), la maturité
intellectuelle se fait attendre bien plus longtemps. Et il faudrait
s'armer de beaucoup de patience et être persévérent
pour y arriver. En attendant, même si on se trompe, on doit
continuer à insister à travailler sur soi. Si nous
montrons que nous sommes capables de changer, nos amis devraient
être capables de nous pardonner.
__________________
* Le mot crainte sera utilisé comme synonyme du mot peur dans
cet article.
** Dans le conte de Charles Perrault, "Le Chat Botté", notre
"chat" rencontre un ogre magicien et par la ruse lui demande de se
transformer en souris.
novembre 2004
D.M.
